Au soir de sa vie, un vieux professeur
se souvient de l'aventure qui, plus que les honneurs et la réussite
de sa carrière, a marqué sa vie.
A dix-neuf ans, il était fasciné par
la personnalité d'un de ses maîtres ; l'admiration et la recherche
inconsciente d'un Père font alors naître en lui un sentiment mêlé
d'idolâtrie, de soumission et d'un amour presque morbide.
Freud a salué la finesse et la vérité
avec laquelle Zweig restituait le trouble d'une passion et le malaise
qu'elle engendre chez celui qui en est l'objet.
Ce récit bref et profond demeure
assurément l'un des chefs-d'oeuvre du grand écrivain autrichien.
« L'univers a grandi et
involontairement l'âme se travaille pour l'égaler : elle aussi,
elle veut grandir, elle aussi elle veut pénétrer jusqu'aux
profondeurs extrêmes du bien et du mal ; elle veut découvrir et
conquérir, comme les conquistadors ; elle a besoin d'une nouvelle
langue, d'une nouvelle force. Et en une nuit éclosent ceux qui vont
parler cette langue : les poètes. »
« Le tumulte effréné de tous
les instincts humains célèbre sa brûlante orgie. Ainsi
qu'autrefois les bêtes affamées hors de leur prison, ce sont
maintenant les passions ivres qui se précipitent, rugissantes et
menaçantes, dans l'arène close des pieux. C'est une explosion
unique, violente comme celle d'un pétard, une explosion qui dure
cinquante ans, un bain de sang, une éjaculation, une sauvagerie sans
pareille qui étreint et déchire toute la terre. »
« Car, lorsqu'une passion
amoureuse, même très pure, est tournée vers une femme, elle aspire
malgré tout inconsciemment à un accomplissement charnel : dans la
possession physique, la nature inventive lui présente une forme
d'union accomplie ; mais une passion de l'esprit, surgissant entre
deux hommes, à quelle réalisation va-t-elle prétendre, elle qui
est irréalisable ? »
« Ce fut un baiser comme je n'en
ai jamais reçu d'une femme, un baiser sauvage et désespéré comme
un cri de mort. Son tremblement convulsif passa en moi. Je frémis,
en proie à une double sensation, à la fois étrange et terrible :
mon âme s'abandonnait à lui, et pourtant j'étais épouvanté
jusqu'au tréfonds de moi-même par la répulsion qu'avait mon corps
à se trouver ainsi au contact d'un homme – dans une inquiétante
confusion de sentiments qui donnait à cette seconde, que je vivais
sans l'avoir voulue, une étourdissante durée. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire