lundi 4 juin 2012

"La confusion des sentiments" de Stefan Zweig


Au soir de sa vie, un vieux professeur se souvient de l'aventure qui, plus que les honneurs et la réussite de sa carrière, a marqué sa vie.
A dix-neuf ans, il était fasciné par la personnalité d'un de ses maîtres ; l'admiration et la recherche inconsciente d'un Père font alors naître en lui un sentiment mêlé d'idolâtrie, de soumission et d'un amour presque morbide.
Freud a salué la finesse et la vérité avec laquelle Zweig restituait le trouble d'une passion et le malaise qu'elle engendre chez celui qui en est l'objet.
Ce récit bref et profond demeure assurément l'un des chefs-d'oeuvre du grand écrivain autrichien.

« L'univers a grandi et involontairement l'âme se travaille pour l'égaler : elle aussi, elle veut grandir, elle aussi elle veut pénétrer jusqu'aux profondeurs extrêmes du bien et du mal ; elle veut découvrir et conquérir, comme les conquistadors ; elle a besoin d'une nouvelle langue, d'une nouvelle force. Et en une nuit éclosent ceux qui vont parler cette langue : les poètes. »

« Le tumulte effréné de tous les instincts humains célèbre sa brûlante orgie. Ainsi qu'autrefois les bêtes affamées hors de leur prison, ce sont maintenant les passions ivres qui se précipitent, rugissantes et menaçantes, dans l'arène close des pieux. C'est une explosion unique, violente comme celle d'un pétard, une explosion qui dure cinquante ans, un bain de sang, une éjaculation, une sauvagerie sans pareille qui étreint et déchire toute la terre. »

« Car, lorsqu'une passion amoureuse, même très pure, est tournée vers une femme, elle aspire malgré tout inconsciemment à un accomplissement charnel : dans la possession physique, la nature inventive lui présente une forme d'union accomplie ; mais une passion de l'esprit, surgissant entre deux hommes, à quelle réalisation va-t-elle prétendre, elle qui est irréalisable ? »

« Ce fut un baiser comme je n'en ai jamais reçu d'une femme, un baiser sauvage et désespéré comme un cri de mort. Son tremblement convulsif passa en moi. Je frémis, en proie à une double sensation, à la fois étrange et terrible : mon âme s'abandonnait à lui, et pourtant j'étais épouvanté jusqu'au tréfonds de moi-même par la répulsion qu'avait mon corps à se trouver ainsi au contact d'un homme – dans une inquiétante confusion de sentiments qui donnait à cette seconde, que je vivais sans l'avoir voulue, une étourdissante durée. »

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