À travers les lettres de trois femmes
— une épouse délaissée, une maîtresse détruite par le péché
qui la conduit au suicide et sa fille, habitée par la peine —, Le
Fusil de chasse peint le déroulement d'une passion et esquisse la
figure équivoque d'un homme mélancolique. Le jeu subtil des points
de vue nous confronte à une vérité finalement insaisissable, tant
chaque regard, pourtant juste dans sa vision et sa pesée, s'oppose
nettement aux autres. Le Fusil de chasse ou les multiples facettes
d’un couple maudit. Trois lettres à la première personne forment
les trois faisceaux de cette liaison, source de passion, de rupture
et de mort. Au centre, omniprésent, l’homme solitaire avec son
fusil de chasse. De lettre en lettre, le lecteur découvre les
différents aspects de cette tragédie. Dans un style dépouillé,
voici comment une banale histoire d'adultère devient sous la plume
concise et poétique de Inoue une très belle histoire d'amour.
« J'avais espéré, et je l'ai
tenté, vous écrire une lettre dont la lecture, après coup, vous
eût incité à goûter l'agrément du vent, la pipe à la bouche,
mais, malgré mes efforts, je ne puis, et j'ai déjà gâché nombre
de feuillets. »
« Ma langue est paralysée par le
chagrin, par un chagrin qui ne concerne pas seulement Mère, ou vous,
ou moi, mais qui embrasse toute chose : le ciel bleu au-dessus de
moi, le soleil d'octobre, l'écorce sombres des myrtes, les tiges de
bambou balancées par le vent, même l'eau, les pierres et la terre.
Tout ce qui dans la nature frappe mon regard se colore de tristesse
quand j'essaie de parler. »
« J'ouvris le journal de Mère à
la première page et le mot qui frappa tout d'abord mon regard avide
ne fut pas celui que j'attendais. Ce fut le mot "péché". Le péché,
le péché, le péché ! Il se répétait inlassablement, écrit dans
un mouvement si furieux que j'avais peine à croire que j'avais sous
les yeux l'écriture de ma mère. »
« La tristesse de la mort de Mère
comparée à la désespérance de cet amour envolé vers le ciel me
semblait presque dénuée de sens. »
« Quand ton regard tombait sur
moi, c'était toujours celui d'un homme qui examine une porcelaine,
n'est-ce pas vrai ? Il me fallait donc rester froide et dure, me
tenir tranquille dans un coin, comme si j'eusse été moi-même une
pièce rare de l'ancienne époque chinoise Kutani. »
« Quelle fut ma douleur lorsque
ce haori de soie, orné de chardons brillants, frappa mon regard. »
« La tranquillité de nos
citadelles respectives n'a jamais été troublée. Seule l'atmosphère
qui régnait chez nous était devenue étrangement orageuse,
menaçante, irritante, comme la chaleur dans le désert. »
« Comme si tu entendais ma voix,
cette lettre te diras mes pensées, mes sentiments, des choses que tu
ignores. »
« Treize ans ont passé depuis
lors, mais je garde encore le souvenir ébloui de la magnificence du
feuillage et de la façon dont il me fit venir les larmes aux yeux. »
« Comme nous gravissions l'étroit
et raide sentier de montagne, tu m'as dit sans raison apparente :
"L'amour est un obsession. Il est parfaitement normal d'être obsédé
par le besoin d'une tasse de thé. Alors pourquoi n'aurais-je pas le
droit d'être obsédé par toi ?" »
« Un jour, tu m'as dit que tout
être abritait un serpent dans son corps. »
« Je sentis qu'il me fallait
penser à un tas de choses. Non point à des choses sombres, tristes,
effrayantes, mais plutôt immenses, vagues, sereines et paisibles. Je
fus comme soulevée par un sentiment de ravissement ou, mieux encore,
par le sentiment de ma libération. »
« Que cette pensée était
ridicule ! "Péché", "péché", "péché", avais-je écrit. Combien ce mot
était vide de sens ! Un être qui a vendu son âme au diable est-il
nécessairement un diable ? »
« Parmi bien des exemple de cette
sorte brillait ce couple de mots : aimer, être aimé. »
« Je reçois le châtiment mérité
par une femme qui, incapable de se contenter d'aimer, a cherché à
dérober le bonheur d'être aimée. »
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