dimanche 15 juillet 2012

"Le fusil de Chasse" de Yasushi Inoué


À travers les lettres de trois femmes — une épouse délaissée, une maîtresse détruite par le péché qui la conduit au suicide et sa fille, habitée par la peine —, Le Fusil de chasse peint le déroulement d'une passion et esquisse la figure équivoque d'un homme mélancolique. Le jeu subtil des points de vue nous confronte à une vérité finalement insaisissable, tant chaque regard, pourtant juste dans sa vision et sa pesée, s'oppose nettement aux autres. Le Fusil de chasse ou les multiples facettes d’un couple maudit. Trois lettres à la première personne forment les trois faisceaux de cette liaison, source de passion, de rupture et de mort. Au centre, omniprésent, l’homme solitaire avec son fusil de chasse. De lettre en lettre, le lecteur découvre les différents aspects de cette tragédie. Dans un style dépouillé, voici comment une banale histoire d'adultère devient sous la plume concise et poétique de Inoue une très belle histoire d'amour. 

« J'avais espéré, et je l'ai tenté, vous écrire une lettre dont la lecture, après coup, vous eût incité à goûter l'agrément du vent, la pipe à la bouche, mais, malgré mes efforts, je ne puis, et j'ai déjà gâché nombre de feuillets. »

« Ma langue est paralysée par le chagrin, par un chagrin qui ne concerne pas seulement Mère, ou vous, ou moi, mais qui embrasse toute chose : le ciel bleu au-dessus de moi, le soleil d'octobre, l'écorce sombres des myrtes, les tiges de bambou balancées par le vent, même l'eau, les pierres et la terre. Tout ce qui dans la nature frappe mon regard se colore de tristesse quand j'essaie de parler. »

« J'ouvris le journal de Mère à la première page et le mot qui frappa tout d'abord mon regard avide ne fut pas celui que j'attendais. Ce fut le mot "péché". Le péché, le péché, le péché ! Il se répétait inlassablement, écrit dans un mouvement si furieux que j'avais peine à croire que j'avais sous les yeux l'écriture de ma mère. »

« La tristesse de la mort de Mère comparée à la désespérance de cet amour envolé vers le ciel me semblait presque dénuée de sens. »

« Quand ton regard tombait sur moi, c'était toujours celui d'un homme qui examine une porcelaine, n'est-ce pas vrai ? Il me fallait donc rester froide et dure, me tenir tranquille dans un coin, comme si j'eusse été moi-même une pièce rare de l'ancienne époque chinoise Kutani. »

« Quelle fut ma douleur lorsque ce haori de soie, orné de chardons brillants, frappa mon regard. »

« La tranquillité de nos citadelles respectives n'a jamais été troublée. Seule l'atmosphère qui régnait chez nous était devenue étrangement orageuse, menaçante, irritante, comme la chaleur dans le désert. »

« Comme si tu entendais ma voix, cette lettre te diras mes pensées, mes sentiments, des choses que tu ignores. »

« Treize ans ont passé depuis lors, mais je garde encore le souvenir ébloui de la magnificence du feuillage et de la façon dont il me fit venir les larmes aux yeux. »

« Comme nous gravissions l'étroit et raide sentier de montagne, tu m'as dit sans raison apparente : "L'amour est un obsession. Il est parfaitement normal d'être obsédé par le besoin d'une tasse de thé. Alors pourquoi n'aurais-je pas le droit d'être obsédé par toi ?" »

« Un jour, tu m'as dit que tout être abritait un serpent dans son corps. »

« Je sentis qu'il me fallait penser à un tas de choses. Non point à des choses sombres, tristes, effrayantes, mais plutôt immenses, vagues, sereines et paisibles. Je fus comme soulevée par un sentiment de ravissement ou, mieux encore, par le sentiment de ma libération. »

« Que cette pensée était ridicule ! "Péché", "péché", "péché", avais-je écrit. Combien ce mot était vide de sens ! Un être qui a vendu son âme au diable est-il nécessairement un diable ? »

« Parmi bien des exemple de cette sorte brillait ce couple de mots : aimer, être aimé. »

« Je reçois le châtiment mérité par une femme qui, incapable de se contenter d'aimer, a cherché à dérober le bonheur d'être aimée. »


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