mardi 30 septembre 2014

"La bête aveugle" de Ranpo Edogawa

Un masseur aveugle, fasciné par la perfection du corps féminin, entraîne ses victimes de rencontre dans des mises en scène cruelles et perverses où les plaisirs sensuels et les amours troubles deviennent très vite des jeux douloureux. Caresses raffinées pour les plaisirs extravagants d'un esthète qui célébrerait l'art dans un monde de beauté purement tactile. Il en sera ainsi jusqu'à ce que l'ennui et la lassitude gagne l'infirme et le poussent au meurtre de ses maîtresses.

"Il y avait quelque chose de troublant à vous donner le frisson que de voir un homme, ne disposant que du toucher, admirer la statue nue de la femme qu'il aime. Ses cinq doigts, menaçants comme les pattes d'une araignée, rampaient à la surface du marbre poli. L'homme s'attarda longtemps sur les lèvres semblables à des pétales de fleur. Puis les paumes caressèrent le reste du corps, la poitrine...le ventre...les cuisses..."

"Cette partie du mur était recouverte de protubérances semblables à des bols inversés, et alors qu'elle appuyé sur l'une d'elles, celle-ci avait tremblé comme de la gelée et la partie où s'était appuyée venait de s'enfoncer. De plus, elle était tiède et donnait exactement la même sensation que la peau humaine vivante."

"A un certain endroit, des mains, comme tendues dans les affres de la mort, formaient comme un gros bouquet de fleurs magnifiques. Un peu plus loin, des bras innombrables étaient regroupés, faisant assaut de coquetterie en un gros buisson. Ailleurs encore, on ne trouvait que des pieds, des genoux, ou toute autre partie du corps, disposés d'une manière encore plus ingénieuse que celle dont aurait fait preuve le meilleur artiste, chacune gardant sa personnalité et son charme."

"Le diable chuchotait" de Miyuki Miyabe

Trois morts à Tokyo : une jeune femme saute du toit d'un immeuble, une autre se jette sous un train, une troisième est renversée par un taxi, tard dans la nuit. Accidents, suicides, meurtres ? 
Déterminé à aider son oncle, le chauffeur de taxi malchanceux Mamoru, du haut de ses seize ans entreprend de chercher les réponses à ces questions. Il découvre rapidement que celle qui est morte sous les roues de la voiture est impliquée avec trois autres femmes dans une escroquerie. Et lorsqu'un homme d'affaires éminent apporte un nouveau témoignage qui pourrait disculper son oncle, Mamoru décide qu'il doit aussi sauver la dernière des quatre jeunes filles, cible du tueur. C'est alors que l'assassin le contacte. 
Miyabe excelle à instiller des touches de fantastique dans la réalité urbaine et à doser savamment le suspense, en nous attachant aux pas d'un détective adolescent, attirant et original. 

"Elle haïssait ce quartier, les immeubles serrés les uns contre les autres, les relents de détritus, de vomi et de pisse qui flottaient dans les couloirs de la gare et jusque dans les massifs de fleurs au pied de tours d'affaires. Elle détestait l'argent dépensé dans cet endroit et les gens qui le claquaient."

"- Tu as été idiot. Tu as été naïf et crédule. Tu es puni pour les arrière-pensées que tu nourrissais. Et elle, pendant ce temps, elle manipulait plusieurs autres hommes comme toi. Tu n'es pas le seul à t'être fait rouler. Exactement. Mais on a beau être stupide, ignorant et trop bon, on a le droit de rêver. Et un rêve, ça ne s'achète pas. Et c'est encore moins quelque chose qu'on vous vend de force. Tu comprends ? La fille qui s'est jetée dans tes bras ne respectait même pas cette règle de base. Tout ce qu'elle voyait, c'est que tu étais stupide, brave et triste. Que tu avais assez d'argent pour la satisfaire jusqu'à un certain point."

"Du sang sur la toile" de Miyuki Miyabe

 Une vie imaginaire peut-elle s'achever dans le sang ?
Un homme est retrouvé lardé de vingt-quatre coups de couteau sur un chantier de construction dans la banlieue de Tokyo. Rapidement, les inspecteurs du DPM, le département de la police métropolitaine de la capitale, découvrent que cet homme, en apparence bon père de famille, menait secrètement plusieurs vies, dont l'une se déroulait sur internet, où il s'était créé une seconde famille virtuelle.
Miyabe nous égare à plaisir dans un labyrinthe de faux-semblants, à cette frontière incertaine où les jeux de rôles rencontrent la dure réalité de la haine et du meurtre. Et si l'ingéniosité de l'intrigue nous tient en haleine jusqu'à la fin, l'émotion nous serre aussi le coeur, ce coeur mis à mal par les effets dévastateurs de la trahison."

"De : Maman
A : Minoru
Objet : La nouvelle maison

Est-ce que papa t'a parlé d'une nouvelle maison ? Il dit qu'il voudrait un bureau. La maison actuelle n'est qu'une rénovation de vielle bâtisse, alors il paraît qu'elle va bientôt tomber en ruine.
Il y en a de belles en construction dans le coin, mais il hésite, il les trouve loin de la gare. D'après lui, le secret, quand on achète un bien, c'est d'y aller non pas une seule fois, mais plusieurs fois, et d'y retourner sans arrêt, à des jours, des heures et par des temps différents. J'ai bien l'impression que papa y passe systématiquement le soir à son retour du travail. C'est bien, non ? J'aimerais tellement qu'il m'y emmène le prochain coup, mais j'ai peur d'exagérer si je lui demande ça, qu'est-ce que tu en penses ?"

"De : Minoru
A : Kazumi
ObJet : Arrête de faire ta sainte nitouche !


Oh, la brave petite Kazumi...sale petite emmerdeuse plutôt...tu te prends pour qui, toi ?"

"Une carte pour l'enfer" de Miyuki Miyabe

L'inspecteur Honma remonte la piste d'une belle disparue prise au piège d'un japon où tout se vend et s'achète, même les rêves. Quand une carte de crédit devient un ticket pour l'enfer, la seule issue est-elle de prendre la peau d'une autre ?"





"Les personnes déclarées en "faillite personnelle" n'ont plus accès aux produits bancaires mais ne connaissent pas d'autre déchéance : la déclaration de faillite n'est pas inscrite sur le casier judiciaire et n'entraîne aucune limitation des droits civiques."

"Mon amie avait coutume de demander pourquoi les serpents muaient. Vous savez pourquoi ?... Non, je vais vous le dire : ils s'imaginent qu'après toutes ces mues, ils auront des pattes, me direz-vous ? Eh bien, ils s'imaginent qu'ils seraient plus heureux s'ils en avaient. Et dans notre société il y en a de plus intelligents qui vendent des miroirs dans lesquels ils se voient avec des pattes."

"- Si elle a eu recours au crédit, c'était pour créer de de l'illusion. 
- Créer de l'illusion ?
 - Oui. Elle n'avait ni argent, ni diplômes, ni capacités particulières et rien d'extraordinaire physiquement. Et elle devait se contentait d'un travail banal dans une petite boîte. Elle faisait partie de ces gens qui rêvent de la vie brillante dont on parle dans les journaux et à la télévision. Et de nos jours, même si on ne peut pas réaliser son rêve, on ne veut pas y renoncer et on cherche des moyens pour se donner l'illusion de l'avoir réalisé. Shoko, elle avait choisi de dépenser beaucoup d'argent pour ça.
- Et les autres moyens ? questionna Honma. 
- Il y a en a de toutes sortes : j'ai une amie, par exemple, qui se fait refaire le visage régulièrement ; elle en est au moins à sa dixième opération. Elle croit que la beauté physique lui garantira le bonheur : un prince charmant trouvera en elle la belle princesse...Il y a aussi des femmes qui passent d'un régime à l'autre avec cette même illusion. Mais ce n'est pas réservé aux femmes. Il y a peut-être davantage d'hommes dans ce cas : travailler dur pour entrer dans une grande université ou dans une grande entreprise, ça aussi c'est une illusion... vous, messieurs, vous n'avez rien à nous envier !" 

"Une soif d'amour" de Yukio Mishima

La jeune veuve Etsuko est amoureuse d'un domestique de la maison de son beau-père Yakichi, chez qui elle vit. Ses beaux-frères, belles-soeurs et leurs enfants vivent sous le toit de l'ancêtre, qui est devenu l'amant d'Etsuko. 
Une nuit, Etsuko donne rendez-vous au garçon qu'elle désire. Comprenant enfin ce qu'elle veut, il se jette sur elle. Elle perd connaissance. Quand elle revient à elle, il s'enfuit. Elle le poursuit, le rattrape, le frappe d'un coup de houe et le tue, Yakichi était là. 
Roman d'une grande force sournoise, obscure et nerveuse cette oeuvre est une peinture d'une passion bridée par un milieu, mais qui finit par tout consumer. 



"L'enfant des gens qui tiennent le centre de distribution a attrapé une pneumonie, mais il a été sauvé par la pénicilline. Il semble aller mieux. Quel dommage ! Si l'enfant de cette femme qui dit du mal de moi derrière mon dos était mort, j'en aurais tiré quelque consolation."

"Quant à Etsuko, son existence se résumait dans la fixité de son regard. Ses yeux ne pouvaient plus se fermer, comme une fenêtre laissée ouverte assaillie impitoyablement par le vent et la pluie."

"Etsuko trébucha en avant, propulsée par la foule, et entra en collision avec un dos nu, brûlant comme du feu, venant de la direction opposée. Elle repoussa en le maintenant des deux mains. C'était le dos de Saburo. Elle savourait le contact de sa chair et son ineffable chaleur."