mercredi 12 septembre 2012

"Nuée d'oiseaux blancs" de Yasunari Kawabata

À une cérémonie de thé où il est invité, Kikuji rencontre par hasard la maîtresse de son père (ancien maître dans l'art du thé), qu'il n'avait pas revue depuis la mort de ce dernier.
Ce qui distingue Kawabata, ce sensualiste, c'est d'arriver à envelopper ses personnages d'une sorte de buée légère et tendre tout en gardant au récit une ligne très lisse, très nette, il fait naître d'étranges rapports entre ses amants... Son roman est dominé par le blanc et nous sommes gagnés par cet éblouissement, par cette lumière incomparable, à ce point que nous avons tendance à oublier un fait majeur : le blanc, s'il est au Japon, comme en Occident, le symbole de la pureté, il est aussi la couleur funéraire, et pour bien comprendre Kawabata, il faut sans cesse penser que la vie, et la vie la plus physiquement amoureuse, la plus sensuelle, comporte toujours cet arrière-plan métaphysique le destin mortel de l'homme, jamais nommé et cependant apparent. 

« Il ne devait pas avoir plus de huit ou neuf ans alors : il était arrivé chez elle avec son père, tandis qu'elle était occupée, dans sa chambre, le sein découvert, à couper avec de petits ciseaux les poils drus qui hérissaient ces taches. De vilaines taches violacées et noirâtres, grandes comme une main ouverte, qu'elle avait sur le sein gauche et au-dessous, avec leurs touffes de poils. »

« L'une de ces jeunes filles portait un furoshiki de soie rose avec le motif de sembazuru en blanc. Elle était belle. »

« A chacun de ses gestes, on eût dit une rose rouge s'épanouissant. Autour d'elle, c'était comme le vol de mille petits oiseaux blancs. »

« La volupté qu'il venait de goûter était celle d'un plaisir que l'expérience seule de sa partenaire était capable de lui donner ; et pourtant le jeune homme n'avait à aucun moment ressenti les timidités de son inexpérience. Il avait l'impression de savoir pour la première fois ce qu'était une femme, connaissant désormais ce que c'était que d'être un homme. Kikuji s'étonnait de cette révélation et du complet éveil de sa virilité. »

« La jeune fille baissa les yeux, et Kikuji observa à nouveau son visage : le nez menu et si parfait de forme ; la bouche avec sa lèvre inférieure légèrement débordante. La douceur de ses traits lui rappelait sa mère. »

« Quel poison cette femme ! Son indiscrétion ! Ce sans-gêne ! Et ces façons qu'elle a de disposer de vous ! Kkuji, indigné, ne subissait qu'avec dégoût l'ascendant qu'elle faisait peser sur lui. »

« Il espérait en secret se retremper dans l'atmosphère de la jeune fille, comme s'il pouvait encore y respirer le parfum de Mlle Inamura. »

« Un flot de larmes lui monta aux yeux, et Kikuji s'attendait à la voir sangloter de nouveau, quand tout à coup elle sourit. Non pas du sourire forcé de qui veut rire entre ses larmes. Un véritable sourire d'enfant, candide et doux. »

« Etait-elle en elle-même le féminin originel, ou sa dernière incarnation sur la terre ? Car dans son univers, dans le monde extra-temporel où elle se réfugiait, il était évident qu'elle ne faisait aucune différence entre feu son époux, le père de Kikuji et le fils de ce père. »

« Comme maintenant, derrière ses paupières, tout l'or du ciel du soir était resté ; et dans cet or, il croyait voir, comme maintenant, folâtrer les mille petits oiseaux blancs d'un certain furoshiki rose. »

« Avisant le vase de shino, ou plutôt le mizusashi qui servait à l'arrangement floral, il appuyaa légèrement les mains sur la natte devant cette céramique, afin de la contempler et de l'apprécier comme il est rituel de le faire pour les pièces à thé.
Un délicat éclat de rouge venait comme effleurer sa matière blanche et mate, attirant et chaleureux par lui-même, sans toutefois heurter ni troubler le froid naturel et pur de la faïence. Vers cette surface émouvante, il tendit une main qui voulait toucher. »

« Pour lui-même, donner ou recevoir le pardon ne faisaient qu'un dans son rêve, dans les rêves amoureux où il retrouvait la présence chaleureuse de ce corps de femme, où il ne cessait de vibrer aux ondes voluptueuses et tendres dont il était le dispensateur. Une caressante ivresse dont il goûtait le charme jusque dans l'harmonie composée par la paire des tasses à thé, la noire et la rouge. »

« Mais cette fragile sauvageonne, presque trop délicate pour être arrangée, combien de temps allait-elle tenir ? Kikuji, au fond de soi, ressentait comme une inquiétude de cette extrême fragilité dans la grâce de l'épanouissement. »

« Teinte fanée du rouge à lèvres, tel un pétale flétri de la rose, brunissant tel le sang séché, se disait Kikuji avec une émotion étrange qui lui faisait battre le cœur. Dans le même moment, une sorte de dégoût, un écœurement malsain le soulevait, qui allait jusqu'à la nausée, cependant qu'une espèce de tentation l'attirait irrésistiblement et lui laissait la tête vide, presque jusqu'au vertige. »

« Kikuji, qui s'était attendu à recevoir sur lui le poids de tout son corps, fut stupéfait par tant de légèreté et faillit presque pousser un cri. Brusquement, il se sentit comme envahi par le sentiment troublant de la féminité, l'émoi de cette présence féminine où il retrouvait, malgré soi, la présence même et tous les charmes de Mme Ota. »

« La mort est si près de nous ! C'était ce que lui avait dit Fumiko. Kikuji se sentit cloué au sol quand cette pensée lui revint à l'esprit. »

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