dimanche 15 juillet 2012

"Lila" de Krishna Baldev Vaid

Mieux qu'une histoire d'amour, Lila est l'histoire de l'amour, l'histoire du couple, où chacun aspire à se fondre en l'autre tout en sachant que ce désir même de fusion est la condamnation potentielle du couple. Drame à deux, l'histoire se déroule en trois séquences bien marquées, une première séquence narrative, une seconde constituée par un long dialogue et enfin une séquence descriptive. Ce qui donne son originalité au récit, c'est que le problème obsédant du couple – la différence et la quête de l'indifférencié – est non seulement celui du mystique, tendant sans cesse vers la fusion, mais c'est aussi celui du langage poétique. (Re)trouver le sens des mots, c'est passer du langage de la communication régi par le système de la différence à celui de la poésie régit par les réseaux de l'analogie.

« Certes, elle ne me disait rien, mais j'avais l'impression qu'elle avait envie de me dire d'arrêter mon bavardage et de lui caresser les cheveux, de me noyer dans ses yeux, de la prendre dans mes bras et de la serrer contre moi. »

« Sur cette photo, elle est en train de fumer une cigarette. Elle doit avoir la fumée dans les yeux, et peut-être aussi le soleil. Elle a les yeux plissés comme deux petites bouches coquines, qui lanceraient des baisers dans l'air pour aguicher quelqu'un d'assis en face d'elle. »

« Lila : Tu es rentré ?
Moi : Oui, je suis rentré.
Lila : Comment c'était aujourd'hui ?
Moi : Bien.
Lila : Comme tous les jours ?
Moi : Oui.
Lila : C'est-à-dire pas bien.
Moi : Oui.
Lila : Tu me caches quelque chose.
Moi : Je ne te cache absolument rien.
Lila : Alors raconte.
Moi : Que veux-tu que je te raconte ?
Lila : Tu ne veux pas parler ?
Moi : Non.
Lila : Pourquoi ?
Moi : Tu sais pourquoi. »

« Lila : Jusqu'à la fin, tu continueras à surveiller toutes tes pensées ?
Moi : Jusqu'à la fin, je continuerai à passer au crible toutes mes pensées.
Lila : Jusqu'à la fin, tu comptabiliseras le plus et le moins ?
Moi : Jusqu'à la fin, je continuerai à mettre en doute chaque mot.
Lila : Pourquoi ?
Moi : Pour essayer de changer les mots en leur sens.
Lila : Pourquoi essayer ?
Moi : Je t'ai eue.
Lila : Pourquoi essayer ?
Moi : Cela aussi cessera.
Lila : Quand ?
Moi : Quand j'irai assez loin sur ce chemin, un soir, pour qu'il n'y ait plus de différence entre le mot et le sens. »

« Le lit danse sur des rythmes bleus. Elle est dans le lit, nue, elle sourit, et dort. Dans son sourire, il y a la danse de sa coquetterie. Dans sa coquetterie, la danse de ses yeux. Dans ses yeux il y a la danse du ciel. Dans les miens, la danse des souvenirs. [... ] Son corps balance avec le lit. Au-delà de la douleur et de la crainte. Si loin au-dessus de la terre qu'on ne voit plus la terre ; si près du ciel que le ciel ressemble à la terre. Elle a les yeux mi-clos maintenant, les lèvres entrouvertes, nouveau festival érotique qui éclot sous mes yeux. Ses yeux mutins et ses lèvres mutines sont l'incantation de son corps; comme si la divinité pénétrait à nouveau dans son corps. [... ] Moi, immobile, ailleurs, je contemple. J'ai perdu de vue ma forme, et mes difformités me semblent absurdes. Je ne suis pourtant pas détaché de leur absurdité. Si je l'étais, je me balancerais moi aussi. Avec elle, sur ce lit [... ]j'ai envie de lécher le sel de son corps mutin. Tout à coup, je me souviens qu'elle s'était plainte un jour: "Tu n'as jamais fait don de tes mots à mon corps." »

« Je vois un pont. Comme un arc tendu, comme un ongle cassé, ou comme un mince croissant de lune. Un pont qui relie peut-être deux montagnes. On ne voit pas les montagnes, et le pont semble suspendu en l'air. »

« Je suis planté là comme un cadavre sorti d'une tombe. On ne voit ni pierre tombale ni fleur sur aucune des tombes. Les cimetières sont généralement verdoyants. Arrosés à l'eau de nos larmes. Rafraîchis par nos soupirs. »

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