Dans les montagnes du nord, la neige
est, plus qu'un décor, le symbole de la pureté perdue. Elle
pétrifie le temps et l'espace, et délimite le champ clos où va se
nouer le drame entre Shimamura, un oisif originaire de Tokyo venu
dans le pays de Neige pour retrouver Komako, une geisha, et Yôko,
une jeune femme rencontrée dans le train. Étrange relation
triangulaire où Shimamura pourra croire qu'il a trouvé l'unité
qu'il cherche, unité du corps et du cœur, entre les jeux sensuels
de Komako et les jeux de regards de Yôko. Pays de neige est une
incantation, un chant harmonieux et pur, qui se finit dans le rouge
sang de l'incendie. On y retrouve l'art de la peinture des sensations
à petites touches pudiques et la musique des sens qui imprègnent l’œuvre de Kawabata, ainsi qu'un dépouillement qui pourrait
s'apparenter au Zen s'il n'était pas hanté par le bruit souterrain
de la mort.
« Il y avait une telle beauté
dans cette voix qui s'en allait, haute et vibrante, rouler comme un
écho sur la neige et dans la nuit ; elle possédait un charme si
émouvant, qu'on en avait le cœur pénétré de tristesse. »
« Aussi en vint-il facilement à
oublier qu'il contemplait une image reflétée dans une glace, pris
peu à peu par le sentiment que ce visage féminin, il le voyait
dehors, flottant et comme porté sur le torrent ininterrompu du
paysage monstrueux et enténébré. »
« Et Shimamura suivit la lumière
qui cheminait lentement sur le visage, sans le troubler. Un froid
scintillement perdu dans la distance. Et lorsque son éclat menu vint
s'allumer dans la pupille même de la jeune femme, lorsque se
superposèrent et se confondirent l'éclat du regard et celui de la
lumière piquée dans le lointain, ce fut comme un miracle de beauté
s'épanouissant dans l'étrange, avec cet œil illuminé qui
paraissait voguer sur l'océan du soir et les vagues rapides des
montagnes. »
« Une question était en lui,
qu'il lisait aussi nettement que s'il la voyait écrite : qu'y
avait-il et qu'allait-il se passer entre la femme dont sa main avait
gardé le chaud souvenir et celle dont l'oeil s'était trouvé
illuminé par la lointaine lueur montagnarde ? Mais peut-être aussi
qu'il ne s'était pas encore lui-même arraché aux magies du
nocturne miroir et des charmes du paysage qui jouaient au-dessous...
A moins qu'il fallût ne voir là qu'une sorte de vivant symbole de
la fuite du temps. »
« Elle esquissa un sourire,
tournant vers lui son visage lourdement poudré à la mode des
geishas, que presque aussitôt vinrent mouiller les larmes. Sans
parler, ils s'en furent vers sa chambre. »
« Les yeux baissés, la jeune
femme ne souffla mot. Shimamura, au point où il en était, savait
bien qu'il se montrait cynique en faisant, comme cela, l'aveu sans
honte des ses exigences de mâle, mais il se disait par ailleurs que
la jeune femme devait être suffisamment au fait de ces choses-là
pour qu'il n'eût pas à se choquer de son aveu. Il observa son
visage, lui trouvant une chaleur sensuelle qu'on pouvait imputer,
peut-être, à la longueur de ces cils magnifiquement fournis, que
ses yeux mettaient en valeur. »
« - Ce que tu disais l'autre
fois, tu sais, ce n'était pas réellement vrai. Sinon qui
s'aviserait, en pleine fin d'année, de venir se geler dans un coin
pareil ? Non, je ne me suis pas amusé de toi. »
« Le regard de Shimamura s'était
porté vers elle, mais d'un geste immédiat, il reposa sa tête sur
l'oreiller : ce blanc qui habitait les profondeurs du miroir, c'était
la neige, au cœur de laquelle se piquait le carmin brillant des
joues de la jeune femme. La beauté de ce contraste était d'une
pureté ineffable, d'une intensité à peine soutenable tant elle
était aiguisée, vivante. Shimamura se demanda si le soleil était
levé, car la neige avait pris soudain un éclat plus brillant encore
dans le miroir : on eût dit un incendie de glace. Le noir même des
cheveux de la jeune femme, dans le contre-jour, paraissait moins
profond, secrètement habité par un jeu d'ombres d'une teinte
pourprée. »
« Il lui sembla que les premières
notes creusaient un creux dans ses entrailles, y ménageaient un vide
où venait retentir, pur et clair, le son du samisen. C'était plus
que de l'étonnement chez lui : une stupéfaction qui l'avait presque
renversé, assommé comme un coup bien ajusté. Emporté par un
sentiment qui confinait à la pure vénération, submergé, noyé
presque sous une mer de regrets, attendri, perdant pied, incapable de
résister, il n'avait plus qu'à se laisser aller à cette force qui
l'emportait, à se livrer sans défense, avec joie, au bon plaisir de
Komako. »
« Il retrouva sa liberté de
penser à la fin du chant. "Elle m'aime. Cette femme est
amoureuse de moi." Mais l'idée le gêna. »
« Elle avait eu le même timbre
émouvant et ample, cette voix qui vous pénétrait de tristesse à
force de beauté poignante, comme si elle appelait sans espoir
quelque passager hors d'atteinte sur un navire au large, le même
timbre que dans la nuit et la neige, lorsqu'elle avait appelé du
train le chef de poste, à l'arrêt après le tunnel. »
« C'est dans la neige que le fil
est filé, et dans la neige qu'il est tissé. C'est la neige qui lave
et blanchit l'étoffe. »
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