Lire Le Grand Meaulnes c'est aller à
la découverte d'aventures qui exigent d'incessants retours en
arrière, comme si l'aiguillon du bonheur devait toujours se refléter
dans le miroir troublant et tremblant de l'enfance scruté par le
regard fiévreux de l'adolescence. Le merveilleux de ce roman réside
dans un secret mouvement de balancier où le temps courtise son
abolition, tandis que s'élève la rumeur d'une fête étrange dont
la hantise se fait d'autant plus forte que l'existence s'en éloigne
irrévocablement.
« Je me rappelle encore cet être
singulier et tous les trésors étranges apportés dans ce cartable
qu'il s'accrochait au dos. »
« Tant d'anxiétés et de
troubles divers, durant ces jours passés, nous avaient empêchés de
rendre garde que mars était venu et que le vent avait molli. Mais le
troisième jour après cette aventure, en descendant, le matin, dans
la cour, brusquement je compris que c'était le printemps. Une brise
délicieuse comme une eau tiédie coulait par-dessus le mur ; une
pluie silencieuse avait mouillé la nuit les feuilles des pivoines ;
la terre remuée du jardin avait un goût puissant, et j'entendais,
dans l'arbre voisin de la fenêtre, un oiseau qui essayait
d'apprendre la musique... »
« De toute ma vie je n'ai reçu
que trois lettres de Meaulnes. Elles sont encore chez moi dans un
tiroir de commode. Je retrouve chaque fois que je les relis la même
tristesse de naguère. »
« Alors il évoqua les objets de
sa chambre : les candélabres, la grande glace, le vieux luth
brisé... Il s'enquérait de tout cela, avec une passion insolite,
comme s'il eût voulu se persuader que rien ne subsistait de sa belle
aventure, que la jeune fille ne lui rapporterait pas une épave
capable de prouver qu'ils n'avaient pas rêvé tous les deux, comme
le plongeur rapporte du fond de l'eau un caillou et des algues. »
« Pour celui qui ne veut pas être
heureux, il n'y a qu'à monter dans son grenier et il entendra,
jusqu'au soir, siffler et gémir les naufrages ; il n'a qu'à s'en
aller dehors, sur la route, et le vent lui rabattra son foulard sur
la bouche comme un chaud baiser soudain qui le fera pleurer. Mais
pour celui qui aime le bonheur, il y a au bord d'un chemin boueux, la
maison de Sablonnières, où mon ami Meaulnes est rentré avec Yvonne
de Galais, qui est sa femme depuis midi. »
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